2015 Cyclone Pam sur Tanna
Le 14 mars 2015, Vanuatu a été frappé par le cyclone Pam, l’un des plus forts dans l’histoire connue du Sud-Pacifique. L’île de Tanna a été parmi les zones les plus touchées. L’école missionnaire de Lowanatom, où je travaille, a été totalement détruite par le cyclone, sauf pour les maisons des professeurs et la classe de l’onzième. Je reste sur l’île pour aider à l’école et toute la population de revenir à la vie normale. Je vais essayer d’en écrire un peu plus bientôt ...
... bien plus tard ...
Vanuatu est visité par les cyclones pratiquement chaque année. Quelques jours avant l’arrivée de cyclone Pam il devient clair, que celui-ci sera exception. Nous envoyons tous les étudiants à la maison pour qu’ils puissent être avec leurs familles. Nous préparons les bâtiments de l’école pour le vent fort. Là où c’est possible les fenêtres sont blindées et l’équipement de l’école est couvert avec les bâches. On attend. Vendredi le 13 mars au soir le réseau mobile s’éteint. Et après lui, le réseau électrique. Dans l’obscurité totale, on passe la nuit. Le matin, nous ne sommes pas réveillés par le soleil, mais par un vent fort au-dessous des nuages lourds. Vers cinq heures l’enfer se déchaîne dans le demi-jour. Le vent arrache les feuilles des arbres. Comme il prend de la force, il case les petites branches ... puis même les branches plus fortes ... les arbres fins se brisent comme les allumettes et même les troncs âgés des banians majestueux se trouvent d’un coup par terre. Parfois la vue ne peut pas pénétrer plus loin que deux dizaines de mètres. Le bruit terrifiant de l’orage est si fort, que je n’entends même pas quand le toit de l’internat des garçons en face se roule sous la pression du vent et s’en va. Par les ouvertures entre les fenêtres et sous la porte la maison est envahie par l’eau de sorte que je n’arrive même pas à l’évacuer. Les quelques choses les plus importantes sont emballées dans un sac imperméable, en cas où même ma maison perd son toit, se je vais le survivre. Même si ... où irais-je enfin? De temps en temps j’ouvre la porte de ma maison, contre la pression du vent, et je fais les quelques pas pour visiter mon voisin Bertrand, le prof de mathématiques. Avec sa famille, il se cache dans une pièce de sa maison. On s’échange quelque mot pour qu’on ne se sente pas si seuls au milieu de cette catastrophe. Sur le toit de sa maison une forte branche est tombée et ses tôles sont maintenant en train de faire du bruit et menacent de partir. Dehors des branches et morceaux des tôles volent avec une puissance, qui peut couper un homme en deux. Je n’ai pas peur. Je n’ai pas le temps de penser à la peur. Je ne fais que tenir ma maison plus ou moins sèche et de temps en temps je regarde ce qui se passe dehors. C’est une souffrance, comme le chemin de croix. Longue et douloureuse. Bon Dieu, quand est-ce que cela va se terminer ?
Le vent se tourne. Pendant des heures il nous attaque du sud-est, puis de l’est. Plus tard dans la matinée, il semble comme si le soleil voulait sortir. Je me rends compte, que ce n’est que l’oeil de cyclone, qui doit être en train de passer tout près de la côté ouest de l’île. Et puis le vent nous harcèle de nouveau. D'abord du nord, puis du nord-ouest. Vers les deux de l’après-midi on peut finalement marcher dans le vent sans risquer de s’en faire emporter. Je sors avec précaution et je vais à la mission pour voir comment vont les frères. Je passe par l’école et j’ai l’impression que la fin du monde est arrivée. On dirait qu’il n’y a pas de toiture qui n’ait pas été touchée. Partout c’est la dévastation, les tôles tordues et les branches cassées. Les manguiers forts, qui offraient de l’ombre à nos étudiants pendant les pauses, sont maintenant tous brisés ou renversés. Les bâtiments de la direction et du secrétariat sont totalement détruits. L’église a perdu une grande partie de son toit. La cuisine de la maison des frères n’y est plus ... seule la dalle est restée, couverte par les débris. Un cocotier est tombé sur la voiture de la mission. Les frères se cachent dans la sale principale de la maison, qui a survécu. Leurs chambres, par contre, sont décoiffées et sous pleine pluie. Frère Antonio me dit, que je suis fou de venir en ce vent. Mais ... j’avais vraiment besoin de savoir, comment sont-ils. La mer est montée de manière que je n’ai jamais vu. Je n’ose même pas la hauteur des vagues. Est-ce qu’il y aura aussi un raz-de-marée après le cyclone ?
Plus tard je passe par le village. Les sentiers habituels sont devenus un mélange impénétrable des troncs des arbres et des branches. Parmi les maisons détruites marchent les hommes ... mes amis et parents de mes étudiants. Ils ramassent ce qui est resté après le cyclone. Je m’attends aux larmes et perplexité, mais on me sourit plutôt. Ils sont contents, que l’on se voie, que l’on soit vivants. Une sensation étrange. La nuit, je vais dormir avec des sentiments de culpabilité. Je suis l’un de très peu, qui vont se coucher aujourd'hui sur un lit sec. Enfin, sur un lit quelconque. Je pense à mes amis dans les villages au profondeur de la jungle, dans les cases de bambou, légères comme une plume, qui ont dû être les première à être écrasé par le cyclone. Comment est-ce qu’ils passent cette nuit ?
Le lendemain matin. Au-dessus des collines de l'ouest de Tanna, le soleil se lève. Je regarde par la fenêtre de ma chambre et le paysage autour ressemble aux photos de la Première Guerre mondiale, on dirait Verdun. Un terrain nu avec des souches d'arbres. Pour autant que l'oeil voit tout est dévasté. Avec mes collègues enseignants, nous commençons un nettoyage provisoire autour de nos maisons. Nous réalisons lentement la mesure de ce qui vient de se passer. On se prépare pour des semaines ou plutôt des mois sans eau courante, électricité et communication.
Deux jours après le cyclone, nous allons avec mon collègue Jeff à l'hôpital de Lenakel. Partout la même image. Les maisons en ruine, les arbres brisés. La forêt luxuriante qui couvrait l'île a cessé d'exister et elle semble maintenant plutôt comme un champ de chaume brunâtre répandu sur les collines. Jeff est un infirmier et il offre ses mains en tant que bénévole à l'hôpital. Dans les prochains jours les premières équipes humanitaires apparaissent à l'hôpital, ainsi que l'armée française. Je traduis pour eux dans la langue locale aux patients, qui viennent lentement de toute partie de l'île. Les après-midi, je fais du bénévolat en tant que spécialiste en informatique au bureau que l'OMS a mis en place sans délai. Il y a beaucoup de travail et cela aide à ne pas trop penser à toute cette destruction autour.
Le travail fait les jours passer vite. Trois mois environ après la frappe du cyclone, nous parvenons à remettre l'école au moins dans un fonctionnement provisoire. Nous recommençons à enseigner, mais la reconstruction de l'école et même de toute l'île va encore prendre beaucoup de temps. J’écris ces lignes avec une immense gratitude à tous les organismes, bénévoles et bienfaiteurs, qui nous ont aidé à pouvoir se remettre debout.
Trouvez plus des photos et vidéos de mes voyages
dans ma galerie photo et sur la page des vidéos.