“Ambrym est un lieu entre le paradis et l’enfer”, me disait mon ami et collègue enseignant Bertrand. Et il faut aussi savoir se reposer, surtout quand on a beaucoup de travail. Ainsi, après deux ans d’enseignement ensemble sur l’île de Tanna, Bertrand m’a emmené avec lui pour passer les vacances avec sa famille sur son île natale d’Ambrym, dans le petit village de Sesivi, sur la côte ouest. La célèbre phrase de Bertrand s’est expliquée d’elle-même dès mon arrivée. Ambrym est une île merveilleuse, simple et essentiellement paradisiaque, et les habitants ont les mêmes qualités. Ce qui est infernal, c’est la chaleur que le soleil et, paraît-il, les trois majestueux volcans de l’île infligent à ses pauvres habitants. Ils s’élèvent au milieu de l’île et, même de la côte, la nuit, on peut facilement apercevoir leur lueur rouge au-dessus de l’horizon. Mais l’enfer pourrait aussi être une référence à la magie noire meurtrière. Ambrym est en tout cas connue pour cela. Lorsque mes amis de Tanna ont appris que j’allais passer quelque temps à Ambrym, ils ont entamé un concert de lamentations : “N’y va pas, quelqu’un va t’ensorceler !”, “Tu ne reviendras jamais, ils vont te jeter un sort et il t’arrivera quelque chose de terrible !”. … ou des conseils bien intentionnés : “Ne mange pas ce qu’on te donne, c’est peut-être empoisonné !”. Ceux qui ont passé plus de temps au Vanuatu savent de quoi je parle. Bertrand est resté calme et m’a dit avec l’autorité d’un expert que j’étais en sécurité dans son village et que la magie noire n’était dangereuse que dans le nord de l’île. Je suis donc parti sans crainte, mais plein d’espoir.
La chaleur du premier jour m’a fait prendre conscience que la seule eau douce disponible dans le village provenait de sources thermales situées sur la côte. Des sources thermales chaudes. Sous une chaleur tropicale. Génial. Heureusement, certains villages ont construit des citernes pour recueillir l’eau de pluie. Pourtant, tout au long de mon séjour à Ambrym, j’ai eu une sensation constante de soif et de “cuisson”. Ils ne me laissaient que lorsque la température devenait un peu plus raisonnable le soir et que les hommes du village se réunissaient dans le nakamal pour partager le kava et discuter.
La vie ici, comme partout au Vanuatu, est colorée. Un jour, nous avons récolté du coprah dans une plantation de noix de coco. Un autre jour, nous avons pris le vieux fusil de Bertrand et chassé des poulets sauvages dans les montagnes d’Ambrym couvertes de jungle. Le fait que chacun d’entre nous ait fini par en attraper relevait du miracle, car même le tir de son vieux fusil lunatique nécessitait parfois un effort surhumain. Une autre fois, nous avons marché cinq heures depuis Port Vato à travers la jungle nocturne et les anciennes coulées de lave jusqu’au désert volcanique à l’aspect inquiétant et au volcan Marum. Une vue à couper le souffle. De retour au village, nous avons préparé le “nalot”, un fruit à pain, et j’ai admiré les incroyables couchers de soleil qui se dessinaient derrière la silhouette de l’île de Malikolo. J’ai parlé avec les anciens du village des étoiles, de la vie du village et des débuts de la mission, je les ai écoutés, j’ai appris d’eux… et grâce à Bertrand, je me suis sentie chez moi, même sur cette île lointaine.